Avis aux puristes: ce titre n’est pas une nouveauté puisqu’il est sorti en 2013 et qu’il est le troisième roman de cette grande écrivain qui a déjà reçu par deux fois le National Book Award.
Jesmyn Ward est donc une auteure afro-américaine, née en 1977 dans un ghetto noir du Mississippi.
Cette petite fille timide et efflanquée, en charge très jeune de ses frères et sœurs, n’imagine pas d’autre horizon, d’autre destin que celui de sa mère et de toutes les autres mères du ghetto : des femmes rudes, laborieuses, au service de la bourgeoisie blanche, et qui doivent assurer la survie d’une famille quand les maris volages désertent, s’abîment dans l’alcool et courent de jobs minables en petits boulots sans avenir.
Mais l’amitié de ses proches, ses amis, ses cousins est pour elle un soutien inestimable. C’est avec eux qu’elle traîne, qu’elle apprend la vie, qu’elle s’enivre de bières bon marché dans la chaleur des nuits d’été.
Tous semblent en proie au même spleen lancinant, au même fatalisme désarmé et désespéré que les nuit de défonce ne parviennent pas à étouffer.
Dans ce récit autobiographique, Jesmyn Ward raconte comment en l’espace de quatre ans, cinq jeunes hommes noirs avec qui elle avait grandi sont morts dans des circonstances violentes, suicide, règlement de compte, overdose.
Parmi eux son frère Joshua, le petit garçon à côté d’elle sur la photo, mort à 19 ans percuté par un automobiliste. Le conducteur était un homme blanc, âgé, riche et ivre.
Il s’en est tiré avec une peine minime, deux ans de prison et des poussières, sans que jamais le mobile de l’homicide même involontaire ne soit évoqué, sans jamais verser à la famille les dédommagements prévus.
Jesmyn Ward se demandera toujours quel aurait été le sort de son frère, la tournure du procès s’il avait été lui au volant, si un jeune homme noir, pauvre et alcoolisé avait percuté et tué un blanc.
La réponse se trouve dans les stigmates et les douleurs de cette communauté afro-américaine rurale, grande laissée pour compte des Etats-Unis, victime d’un racisme affiché ou rampant, dévorée par une pauvreté et une violence endémiques.
Cette fresque familiale bouleversante, qui alterne récits du présents et plongées dans l’histoire passée, est une véritable chronique sociale, un cri de douleur de ceux qui restent, une prière aux êtres chers qui ne sont plus, un hommage à tous ceux qui continuent la lutte.
Jesmyn Ward écrit et décrit sans concessions, de façon viscérale et urgente .
Sa belle plume ample, puissante et tellement poétique, son militantisme et son érudition la placent pour beaucoup à la même hauteur que Toni Morisson, dont elle est par ailleurs grande admiratrice et grande lectrice.
Des romans et une auteure pour adulte of course, que je vous engage vivement à découvrir si ce n’est déjà fait.
Bibliographie : « Lignes de fracture », « Bois sauvage », « Les moissons funèbres » parus en poche chez 10/18. « Le chant des revenant » paru chez Belfond en 2019.