A l’âge de six ans, la petite Aloys a été donnée par son père à une abbaye.

Il en va ainsi au Moyen-Âge pour bon nombre de famille nobles qui offrent une de leurs filles à Dieu afin de faire acte de contrition, se débarrasser d’une enfant mal en point, ou alléger simplement une famille jugée trop nombreuse.

La dernière chose dont Aloys se souvient c’est le parfum de cette brassée de lilas que sa mère lui a donnée avant de la voir partir.

Les années ont passé et la jeune Aloys a appris à se plier aux règles strictes, à la sévérité de ses aînées et au rythme implacable des corvées et des prières qui jalonnent ses journées de jeune moniale.

« Avec les années, j’ai oublié les visages de mes père et mère, ainsi que ceux de mes cinq frères, j’ai oublié le confort d’un lit douillet et l’envie de courir comme une écervelée dans un jardin. Je me suis disciplinée. J’ai retenu de mon mieux mes gestes et mes paroles. J’ai obéi. J’ai appris à prier. J’ai essayé de ne pas rêver »

C’est encore au scriptorium, lors de son minutieux travail de copie et d’illustration que la jeune-fille se sent le mieux. Si elle peut compter sur la bienveillance de Sœur Jehanne, elle sait qu’elle doit se méfier des Sœurs Agnès et Marie qui l’espionnent sournoisement et lui cherchent sans cesse querelle.

L’arrivée de deux nouvelles fillettes à l’abbaye, si petites et si désemparées va raviver dans le cœur d’Aloys la flamme de sa rébellion, sa folle envie d’échapper à ces murs humides.

D’autant que la jeune-fille s’apprête à prononcer bientôt ses vœux définitifs, ceux qui scelleront irrémédiablement son destin au cœur du monastère, jusqu’à sa mort.

Le monde extérieur est-il si hostile, si violent et si dépravé qu’on veut bien lui laisser croire ?

Ne peut-elle imaginer une autre vie, plus libre, sans renier sa foi ?

« J’imagine une vie à parcourir le monde. Fuir… Aucune sœur n’a jamais cherché à partir d’ici. Fuir … non. Je dois chasser cette folle idée de mon esprit tourmenté. Notre abbesse nous a appris à redouter l’extérieur, ses vives tentations qui mèneront notre âme au diable.(…). La nuit est tombée et je prie avec plus de ferveur afin d’écarter de mon esprit toute tentation délirante ».

Voilà un récit singulier et tout à fait à part sur le destin d’une jeune moniale.

Le texte très documenté nous éclaire sur cette époque du Moyen-Age, sur la place centrale de la religion dans la vie quotidienne et toutes les exactions barbares commises alors au nom de Dieu.

On reste captivé par cette histoire au rythme lent qui nous plonge dans le quotidien tellement répétitif de ces femmes recluses, et on vibre à l’unisson de la jeune Aloys dont on perçoit la souffrance, l’envie d’ailleurs.

Cette tension narrative est d’ailleurs fort bien retranscrite dans le roman qui s’égrène sur toute une année, au fil des saisons.

Voilà un récit émouvant et assez édifiant sur la condition féminine de l’époque.

C’est joliment écrit, dans un style sobre et épuré, souvent poétique et c’est finalement un destin de femme libre, envers et contre tout, qui nous est conté.

Un roman exigeant et vraiment prenant.

Saura t-il trouver ses lecteurs ? Je le souhaite vivement et le conseille aux jeunes curieux dès 13 ans !

« Aloys ». Texte de Sarah Turoche-Dromery. Editions Thierry Magnier. Illustration de couverture (très jolie) de Fanny Michaëlis. 11.50€