La petite Anabelle n’est décidément pas une petite fille comme les autres: pas de jeux de dinettes mais des chevauchées de cow-boy, jamais de jeux de marelle mais des parties de tractopelle, un vrai penchant pour les lassos, les fusils et les outils.
Rien de bien grave elle est toute jeune, à cet âge-là on ne s’inquiète pas et ces petites bizarreries passent aisément pour des excentricités puériles aux yeux des adultes.
Mais la fillette grandit et « ça » ne lui passe pas.
On l’appelait Annabil, elle s’appelait Buffalo Belle.
Mais qui est-elle et que veut-il ? Demeurer Anabelle ou devenir Buffalo Bill ?
En grandissant on doit choisir, si on est elle on met du rimmel, si on est il on porte des bretelles.
Pour suggérer l’ambiguïté sexuelle et le malaise qu’elle peut créer chez les autres, Douzou a l’idée géniale d’inverser les « il » et les « elle » dans les mots :
-« Pas du genre à rêvasser sous son ombril
pas vraiment demoisil modèle
Annabil« .
On doit décrypter, comprendre, ce n’est pas facile au départ, mais on se laisse prendre par les sonorités singulières de cette langue aux accents oulipiens ou gainsbouriens, comme vous voulez.
En jouant sur le genre grammatical, Douzou distord les mots en même temps qu’il tord le cou aux préjugés en tous genres, c’est le cas de le dire.
On apprécie l’intelligence du travail à la fois sur le fond et sur la forme: en s’imposant cette contrainte littéraire, Olivier Douzou nous impose une contrainte de lecture qui nous oblige à sortir de notre zone de confort, à remiser au placard nos vieux réflexes et nos idées toutes faites.
A l’intersection de l’album et du roman graphique, le récit est illustré avec force par des dessins au fusain. S’esquissent alors silhouettes et visages d’Annabelle de la petite enfance à l’adolescence, âge clé où l’on commence à s’affranchir du regard des autres pour devenir ce que l’on est au fond de soi:
-« (…) ensuite, ni fleuve,
ni rivière,
je suis le chemin
que je trace dans l’océan
je suis ce que je suis
je serai ce que je veux »
Olivier Douzou a dédicacé ce texte à sa fille, il explique la genèse de son projet dans cette très belle interview sur le site de son éditeur.
Thèmes et variations autour du genre: un vrai vent de liberté souffle dans cet album inclassable, qui va, vous l’aurez compris, bien au-delà du simple exercice de style.
A découvrir et faire découvrir sans limite d’âge.
« Buffalo Belle« . Texte et illustrations d’Olivier Douzou . Editions du Rouergue. 12,00 €.