illustration@SandrineThommen

En Chine, les chengyu désignent des sortes d’expressions proverbiales bâties autour de quatre caractères écrits, tirés d’épisodes historiques ou de contes.

Ces brefs dictons très imagés jouent souvent sur le goût de la symétrie et de la comparaison qu’affectionnent les Chinois. Ces formules concises encore très familières dans la Chine d’aujourd’hui permettent, comme des morales bien senties, d’appréhender une situation, d’aiguiser son sens critique.

Voilà un résumé très grossièrement brossé de ce que peuvent être les chengyu et leur fort pouvoir évocateur, mais le mieux pour en saisir les nuances serait encore de plonger dans les deux fables de ce bel album.

Dans La lance et le bouclier, c’est jour de marché dans la vallée de Chu. Un homme arrive avec son chariot chargé de boucliers dont il vante la qualité, la résistance et la robustesse:

-« Achetez donc mes boucliers ! Pas une lance pour les transpercer, pas une épée pour les traverser ! Aux quatre coins du royaume vous n’en trouverez pas de plus résistants ! »

Mais le marchand a beau s’époumoner, aucun badaud ne cède à l’achat.

Qu’à cela ne tienne, le bonimenteur sort aussitôt du chariot les lances qu’il avait en réserve et dont il se met à vanter sans vergogne l’inestimable qualité :

Illustrations@Sandrine Thommen

-« Achetez donc mes lances ! (…) Telle une lame perçant le papier, elles s’enfonceront sans mal dans le plus résistant des boucliers ! »

Quel crédit voulez-vous donc accorder à pareil individu, qui dit tout et son contraire dans la minute qui suit ?!

C’est dingue, ça évoquerait presque quelques péripéties politiques assez actuelles, vous ne trouvez pas ?

François, Nicolas et consorts, écoutez donc bien ça :

–Aujourd’hui encore en Chine, pour parler de celui qui se contredit en paroles ou en actes, on dit en quatre mots :

« Attaquer son bouclier avec sa propre lance ».

Illustrations@SandrineThommen

L’autre petite fable met en scène une bécassine et une palourde. La première attaque la deuxième pour la manger, le mollusque ne se laisse pas faire et se referme sur le bec de la bécassine.

Le volatile ne peut donc plus ouvrir le bec, tandis qu’ en refusant de se décrocher,  la palourde risque bien de sécher sur place. Les voilà bien avancées. Mais peut-être qu’un troisième larron leur règlera leur compte à toutes deux …

J’adore ce genre de petite morale bien sentie et bien imagée, sans compter que l’album est vraiment ravissant.

Le trait de Sandrine Thommen est d’une grande finesse. Cette jeune illustratrice influencée par les miniatures persanes et les contes d’Orient a développé ici un univers très raffiné avec force détails et une très jolie palette de couleurs tendres.

Geneviève Clastres, quant à elle, grande spécialiste de la Chine et de l’Asie en général, délivre un texte très évocateur et pourtant sans fioritures, qui exprime beaucoup sans trop en dire….

Illustrations@SandrineThommen

Tout ce que j’aime !

Le format étroit est fort bien choisi, les pages de garde sont magnifiques, en voilà un bien bel album plein de sagesse, à savourer et à méditer dès 6 ans !

« La lance et le bouclier ». Texte de Geneviève Clastres. Illustrations de Sandrine Thommen. Editions HongFeï. Collection En quatre mots. 12,50 €