D’amour justement il est grandement question dans ce roman, je crois même qu’il ne parle que de ça.

Quand le regard de Bo croise celui d’Hama dans l’usine d’armement où ils travaillent tous les deux, leur amour éclate comme une évidence. Un sentiment si fort et si lumineux qu’il va même irradier toute la ville, redonner goût à la vie à tous ses habitants. « Un sourire d’enfant illumina le visage de Hama, et un frisson secoua la grande carcasse de Bo. Nous aurions juré assister à des retrouvailles. Cela ne dura qu’un instant, quelques secondes fragiles, grâcieuses, volées à l’entêtante nécessité de l’Usine. Mais cela suffit à nous rappeler une chose essentielle: le feu qui brûlait dans le ventre de nos fourneaux brûlait encore dans nos veines. Contrairement à ce que nous croyions, nous n’étions pas morts ».

Mais quand la catastrophe se produit, détruisant l’usine et anéantissant les espoirs de survie de toute une population, c’est encore cet amour qui est montré du doigt. Trop indécent, trop soudain, presque louche et c’est Bo l’étranger qui va être accusé, stigmatisé puis contraint à s’enfuir avec sa belle, gravement mutilée pendant l’explosion.
S’ensuit une longue et épuisante marche sans se retourner, sans fin, sans but, si ce n’est celui de s’aimer toujours quoi qu’il arrive. Après plusieurs mois d’errance, Bo et Hama finissent par être recueillis par une étrange famille troglodyte auprès de laquelle ils apprennent à se reconstruire, au sens propre comme au sens figuré.
C’est là aussi, au cœur de la terre que la petite Tsell née de leur union, passera les premiers mois de son existence. Mais les deux amants doivent partir, encore, pour donner une chance à leur enfant de trouver sa place au milieu des hommes. « De séparation en séparation, ainsi va la vie ».
Pourtant le passé et la noirceur finissent par rattraper Bo et Hama tandis que l’histoire de la jeune Tsell prend peu à peu le pas sur celle de ses parents…

Dans ce roman sans ancrage dans une époque ou dans un lieu, le thème de la quête des origines et de la transmission est central. Les éléments naturels ont aussi une place symbolique très forte (la terre, l’eau, le feu surtout) et l’ensemble de la narration où sont semés de brefs indices comme autant de petits cailloux ferait presque penser à une démarche psychanalytique s’il n’y avait la poésie et la virtuosité de l’écriture.
Le choix de la narratrice externe qui n’est autre que Tsell donne un ton vraiment particulier à ce récit; elle est à la fois extérieure à ce couple dont elle a dû apprendre à se détacher et en même temps tellement pétrie de leur amour désespéré que les inflexions du texte n’en sont que plus émouvantes.
– On ne retrouve pas les choses perdues, murmura-t-elle. On ne répare pas l’irréparable. C’est impossible. Sa voix était lointaine et son visage si triste que j’eus envie de repartir, de m’envoler loin. Mais en vérité c’était Hama qui s’était envolée depuis quelques semaines. Son âme, en tous cas ».

Après cinq années d’absence, Anne-Laure Bondoux livre ici un roman d’une rare intensité. Je ne suis pas sûre d’avoir tout aimé, des passages un peu lyriques qui ont pu m’agacer, une impression d’éparpillement parfois dans l’histoire… mais en même temps ce sentiment d’intimité et de proximité avec les personnages qui perdure des mois après la lecture. Et cette sensation parfois de lire noir sur blanc des choses ressenties mais jamais formulées… D’après moi c’est bon signe.

« Tant que nous sommes vivant ». Texte de Anne-Laure Bondoux. Gallimard jeunesse. 15€. Superbe couverture réalisée par Hélène Druvert.