Posté par Véro le 20 - 09 - 2017

Le syndrome de l\'imposture

– Heu … oui bien sûr, avec plaisir (tu préfères pas essayer la FNAC ?)

– Il est assez speed, je pense qu’il aime bien les trucs plutôt rigolos et avec pas mal d’illustrations encore.

– Pas de problème, je vais te trouver ça ( et les figurines Pokemon, t’as pensé aux figurines Pokemon ?)

– Bon enfin, de toute façon je te fais entièrement confiance, hein…

– Ah ah ah, ouais c’est clair, c’est mon métier ! (pourquoi tu vas pas dans une librairie près de chez toi ?)

oiseauJ’ai un vrai problème : je souffre du syndrome de la libraire-qui-ne-sait-pas-choisir-les-livres-pour-des-gens-qu’elle-connaît.

Je ne sais pas si c’est une pathologie courante dans le métier ou une petite névrose supplémentaire toute personnelle, pour ma part je me sens complètement larguée quand ça se produit. Évidemment cette angoisse est proportionnelle à l’attachement que j’éprouve pour les personnes en question : plus je les aime moins j’y arrive. C’est normal docteur ?

Bon là faut s’y mettre, j’ai deux heures devant moi pour préparer trois, quatre bouquins sympas, c’est quand même pas la fin du monde.

Ou cinq, six ? Ou alors peut-être juste deux ou trois ? Ça veut dire quoi dans son esprit « une petite sélection » ? Si je lui en file six il va peut-être croire que je veux l’obliger à dépenser plein de sous chez moi. Si je n’en mets que deux, on ne peut pas vraiment parler de « sélection »… Trois et demi ce serait bien mais c’est pas possible, alors on va dire quatre. C’est bien quatre.

(Je sens que l’affaire est super mal engagée, ça va me prendre deux plombes cette histoire)

En plus y’a rien dans cette librairie où je rêve ? En tous cas y’a rien pour les sept ans, ça c’est sûr. Je m’en vais de ce pas rectifier les infos sur le panneau extérieur, c’est complètement mensonger.

« Pour tous les enfants, de 0 à 16 ans – SAUF LES 7 ANS ».

Voilà ça c’est fait. J’essaie tant bien que mal de rassembler mes esprits et de me remémorer ce que j’aime bien conseiller quand je suis en pleine possession de mes moyens. Ah oui, le livre sur les prouts, c’est marrant ça, non ? Bof, pas tant que ça en fait. Et puis il est trop grand et je lui ai déjà offert plein trucs scatos je crois, son père va finir par me prendre pour une folle. ll est du genre intello en plus celui-là, faut que je sois à la hauteur. Le mieux ce serait peut-être de taper dans la poésie.

17 heures 45 : je viens de passer le rayon au peigne fin et je connais tous les poèmes de Maurice Carême et de Jacques Prévert par cœur.

Je le sens pas.

A 18 heures j’ai une fulgurance: je pense à l’album « Les oiseaux » d’Albertine et Zullo. C’est joli ça, poétique en diable, des belles illustrations, un poil de texte, un beau message. Parfait. Son père va adorer.

Plus que trois.

J’arpente nerveusement la librairie de long en large. Je décide de faire tourner le présentoir de l’Ecole des Loisirs et de l’arrêter au hasard. C’est une valeur sûre l’Ecole des Loisirs quand même, puisque les instits ne connaissent que ça. Et puis ça me rappelle quand j’étais petite, que je stoppais le globe terrestre du bout de l’index pour savoir dans quel pays je voyagerai plus tard ——–>  Et bim ! Un chef d’œuvre du premier coup « L’Arbre généreux » de Shel Silverstein.

Croyez-moi, c’est pas les algorithmes d’Amazon qui auraient dégoté un truc pareil,  là je sais que je tiens du lourd. Je raconte ce bouquin à tous les gamins qui défilent à la librairie de 4 ans à 14 ans et je fais un carton à chaque fois. Bon, ce n’est pas d’une folle gaité, reconnaissons-le; dès qu’elle entend les premiers mots Gigi se met à sangloter au fond de la librairie. Mais enfin cet album parle de choses arbreessentielles, le cycle de la vie, le temps qui passe, la vieillesse, le don de soi, tout ça tout ça….. c’est parfait. Il serait temps de lui mettre un peu du plomb dans la cervelle à ce minot.

Épuisée par tant d’efforts, à bientôt 18h30, je commence à m’essouffler. Dans cet instant de faiblesse ultime, une folle pensée me traverse l’esprit: et si pour en finir je lui refilais deux bouquins que j’avais prévu de mettre au retour ? Deux grosses daubes dont je veux me débarrasser ? Il est poli mon pote, il n’osera jamais rien me dire. Et puis si ça se trouve il a un goût de chiot ?

… JE M’EN VEUX, JE M’EN VEUX TERRIBLEMENT ! Avoir pensé un truc pareil …. Pour un ami en plus ! Bravo la déontologie.

Pour faire pénitence je décide de relire « Le Métier de libraire » de Michel Ollendorff sans essayer de me défenestrer.

calicochonJe tourne, je tergiverse, je feuillette, je compulse, j’hésite, je trouve tout nul, je ME trouve nulle et m’apprête à appeler Gigi pour lui dire que je change de métier.

Me revient en mémoire, en parlant de ma chère associée, l’album qu’elle se plaît tant à raconter aux enfants : « A calicochon » d’Antony Browne, petit pamphlet féministe fort bien senti qui milite pour le partage des tâches ménagères. Effet saisissant sur les gamins quand ils voient les hommes de la maison livrés à eux-mêmes se transformer en cochons ! En voilà une idée qu’elle est bonne ! Et puis il n’est jamais trop tôt pour semer les graines de l’égalité.

Bon ben finalement ça avance plutôt bien cette histoire. Une heure et demie pour dégoter trois bouquins c’est pas mal. Pas follement rentable si on veut pinailler, mais pas mal.

A 18h45, une cliente fait son entrée. On peut même pas rester tranquille dans cette librairie. Elle cherche des livres  pour un enfant de sept ans. Je lui trouve l’œil torve et le regard sournois…Je décide illico de planquer ma sélection à moi de peur qu’elle me la fauche. En revanche je n’éprouve aucune difficulté pour la conseiller, je vous remercie.

A 19 heures il me reste encore un album à choisir et je suis au bout du rouleau. Ce que j’ai trouvé jusque là me paraît soudain très sérieux, je résiste à la tentation de tout reposer en rayon uniquement parce que j’imagine les regards exaspérés de Gigi devant mes atermoiements.

Je décide de contrebalancer tout ça avec un peu d’humour. Grinçant de préférence. Et j’opte donc pour un « Mortelle Adèle ». Grâce au ciel il ne m’en reste plus qu’un en rayon et je n’ai pas à me torturer pour choisir le meilleur des 18 mochestitres de la collection.

Oserais-je avouer qu’une réflexion débile menace cet ultime choix ? Le genre de truc que je déteste entendre de la bouche des clients et qui me fait ricaner sur leur étroitesse d’esprit (mais heu c’est un garçon, vous croyez qu’il va s’identifier à cette histoire de fille ??)

…. J’AI HONTE, TELLEMENT HONTE ! Pour faire pénitence, je décide de lire le dernier livre d’Eric Zemmour (<—— je déconne).

Heureusement, mon sens commun reprend vite le dessus et j’embarque le « Poussez-vous les moches », tome 5 de Mortelle Adèle avec la sensation enivrante d’accomplir un acte militant.

Ouf ! Ça y est, missions accomplie, je n’ai qu’une hâte, donner la sélection au pote en question en priant pour ça convienne ou le cas échéant, qu’il soit suffisamment bien élévé pour ne pas m’en toucher mots.

L’amitié, c’est drôlement compliqué… A  moins que ce soit moi ?

« Les oiseaux ». Texte Germano Zullo. illustrations Albertine. La Joie de Lire.14,20 €.

« L »arbre généreux. Shel Silverstein. Ecole des Loisirs. 9,70 €.

« A calicochon ». Anthony Browne. Kaléidoscope. 13,20 €.

« Poussez-vous les moches ! ». Mister Tan et Miss Prickly. Editions Tourbillon. 9,95 €

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories: Librairie, Petite Enfance

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