Il me suffit souvent des toutes premières lignes pour savoir si je vais aimer ou non un texte.
« On aurait dit le matin »: J’adore !
« Et on aurait dit le soleil » : Ah mais j’adore TROP !! Et pourquoi d’abord ce n’est pas moi qui l’ai écrit ?
Pour le texte, c’est plié: je sais que je vais kiffer, que tout va me plaire, que les mots vont complètement faire écho en moi et que je vais tracer jusqu’au bout de l’album sans lever le nez.
Vous allez me dire, ouais c’est normal, c’est Ramona Badescu, de toute façon tu nous fais toujours un flan dès qu’il s’agit d’un bouquin de Ramona Badescu, t’es toujours super fan, si ça se trouve elle te paye (pas du tout mais je vais y penser. Ramona ??). C’est comme avec Thierry Dedieu, dès qu’il sort un truc tu te mets en mode groupie (Faux, parce que je n’ai pas beaucoup aimé « Le Caillou », par exemple, contrairement à beaucoup de mes congénères libraires, voire au reste du monde) (ah on fait moins les malins).
Bref, ce n’est pas parce que c’est Ramona qui l’a fait que ça me plait, c’est parce que c’est écrit, voyez-vous. Avec une belle langue, des mots soigneusement choisis. Un vocabulaire recherché, une vraie poésie dans la mélodie du texte qui nous emplit la tête d’images et de sensations.
Par exemple quand la Fourmi tombe, ben elle pourrait tomber comme ça par terre, tout bêtement, comme une grosse bouse, comme quand T’Choupi tombe du vélo par exemple (qu’est-ce que j’ai avec T’Choupi en ce moment ?? Ça m’inquiète un peu je vais en parler à ma psy).
Et bien pas du tout. Ici quand la Fourmi tombe ça donne ça : « C’est alors que tout à coup la Fourmi vit brusquement le vert de l’herbe et le marron de la terre se mêler dans un grand fracas. Elle avait vu, un instant, ses propres pattes avancer sans elle. Elle avait senti le blanc du matin l’envelopper comme un voile. Elle avait vu les lignes de la terre et du ciel se confondre ».
On reste tout au long de l’album sur ce même registre, avec cette langue ronde, très imagée, qui sollicite toutes nos sensations et ne nivelle jamais rien par le bas, bien au contraire.
L’histoire est toute simple : c’est une petit fourmi parmi tant d’autres, la numéro 881 pour être précise, qui un beau matin, catastrophe, ne s’est pas réveillée et court de toutes ses forces jusqu’à son lieu de travail, tremblante et frissonnante à l’idée des remontrances et des punitions que lui réserve la Reine.. Mais il y a des matins, comme ce matin de brume, ou rien ne tourne rond et il suffit d’un bête accident entre l’Ours et la Fourmi pour que le destin de chacun bascule.
Venons-en aux illustrations et donc au cas Amélie Jackowski.
Je passerai rapidement sur le fait qu’Amélie Jackowski ressemble complètement à un lutin mais en fille avec des cheveux blonds.
Est-ce que ceci a une réelle importance dans l’appréciation de son travail ?
Non…. mais sait-on jamais de quoi les lutins sont capables ? Amélie, je me rends compte avec cet album et Gigi trouve aussi, Amélie donc, a en fait une palette très large à son actif. Elle a un univers vraiment très riche et elle nous surprend à chaque nouvelle parution même si je la trouve trop rare encore en littérature jeunesse.
Ici, les illustrations se fondent littéralement dans le texte, ou le texte se fond dans les illustrations, c’est au choix. Il y a une belle harmonie entre les deux, une vraie symbiose et l’on retrouve la même douceur et la même poésie dans les images et les mots. Tout se niche dans les petits détails : un pot de miel entamé, un livre ouvert posé par terre, un biscuit tout juste grignoté, un torchon abandonné sur le dossier d’un fauteuil et nous voilà plongés dans l’intimité et le petit monde de ces personnages sépias qui nous rappellent un peu l’univers d’Arnold Lobel.
Ajoutez à cela la réflexion sur le libre-arbitre, la liberté d’être soi, les amitiés improbables et vous aurez une petite idée de ce que vous réserve cet album au long texte, qu’on pourra lire tout d’un coup parce qu’on n’a pas envie de s’arrêter ou bien par petits bouts, chaque soir, pour faire durer un peu plus le plaisir.
« Derrière la brume ». Texte de Ramona Badescu. Illustrations d’Amélie Jackowski. Editions Albin Michel. 14,90 €