Posté par Véro le 16 - 04 - 2016

Les Fragiles

Cédric, le père de Drew est raciste.

Drew l’a toujours su, l’a toujours entendu vociférer, éructer contre les étrangers.

Mais ce jour là c’est différent : Cédric a renversé Ernest avec sa camionnette. Il ne s’est pas arrêté et l’a même traité de sale négro.

Ernest c’est l’entraîneur de foot de Drew, un type sympa, chaleureux, toujours attentif aux autres et particulièrement à Andrew qui n’est pas toujours à l’aise dans ses baskets.

Ernest est noir et il s’est fait traiter de sale négro par le propre père d’Andrew.

Le jeune garçon se retrouve une fois de plus en prise à des sentiments contradictoires, douloureux, mélangés.

Ce père qu’il a tant aimé quand il était enfant, ce père qu’il essaie de toutes ses forces de satisfaire, ce père n’est pas un type bien.

Plus il grandit plus Andrew s’en rend compte et il doit faire avec. Avec ça et tout le reste.

Les remarques assassines ou les grands silences, la violence sourde à la maison, les coups parfois, les disputes à son sujet entre ses parents, et cette mère un peu larguée qui change de tête en se colorant les cheveux toutes les semaines comme si sa vie aussi pouvait reprendre des couleurs…

Et puis il y a Cédric le père, qui enrage de son côté, qui se débat comme il peut avec une existence qu’il n’a pas vraiment choisie, un fils timide et maigrichon qui ne correspond pas à ses attentes, le boulot pour faire vivre tout le monde, la vie qui passe et ses emmerdements.

Et sa femme aussi qu’il a pourtant aimée un jour : « Ça avait assez vite foiré. Il avait d’abord refusé de la laisser tomber, de se tirer en ne lui versant qu’une pauvre pension. Il y avait les beaux souvenirs de leurs fous rires, de ces jours où le temps s’était arrêté sur eux deux, où se regarder l’un l’autre suffisait à se faire battre le cœur. Aujourd’hui encore il en aurait des picotements rien qu’à y repenser. C’est un truc qu’on ne peut pas oublier. Et puis il y avait Andrew. »

Le roman s’ouvre sur un drame et toute la force du récit réside dans sa construction narrative où se mêlent deux temporalités : Andrew à 9 ans quand il entend l’injure raciste de son père et Andrew à dix-sept ans qui s’affranchit peu à peu du poids familial grâce à la rencontre de Sky, une extraterrestre, une fille magnifique, solaire, aussi fêlée qu’insaisissable.« Ils topent et partagent une cigarette, les yeux fermés en écoutant un vieux truc, une mélodie lancinante et un peu ringarde des Scorpions. Elle aurait des antennes fluo sur le crâne et trois yeux, il ne serait pas plus étonné. Il retire sa main et murmure tout bas still loving you… »

Dans ces deux espaces temps, on suit les pensées et le cheminement du fils en même temps que celui du père.

Cette narration malmenée, chaotique et désordonnée est à l’image de ces deux grands cabossés de la vie dont on ressent peu à peu les failles, la confusion des sentiments.

J’ai une petite réserve pour le personnage de Sky que j’ai trouvé  moins intéressant ou un peu laissé pour compte face au duo très fort père/fils…

Beaucoup d’intensité cependant dans ce court roman qui ne tombe jamais dans le manichéisme mais nous oblige au contraire à porter un regard plus compréhensif et bienveillant sur des personnages qui nous sont au départ franchement hostiles.

En décrivant leurs fragilités, leurs doutes et leurs regrets, Cécile Roumiguière leur rend toute leur humanité et c’est ça qui est beau.

C’est beau mais c’est sombre et triste, je ne vous le cache pas !

Cela m’a fait penser au très beau bouquin de Jean-François Chabas, « L’arbre et le fruit », dont je vous parlerai peut-être quand je serai moins déprimée parce que c’est pas gai gai non plus.

fragilesUn des ces romans « Young Adult » comme on dit chez les djeuns, qui laisse des traces, comme souvent les romans de la collection Exprim.

« Les Fragiles ». Cécile de Roumiguière. Editions Sarbacane. Collection Exprim. 15.50 €.

 


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