Cette histoire du vilain petit canard tout le monde la connaît bien sûr, sous la plume d’Andersen.
Il n’est pas né comme les autres, il n’a pas cancané comme les autres, il était tout marron, il était tout moche et tellement maladroit dans ce corps disgracieux que tout le monde l’a moqué et mis à l’écart.
On redécouvre avec les mots de Ramona Badescu cette histoire tellement touchante sertie dans un petit bijou d’écriture.
Conçu comme un monologue délivré en sept tableaux, ce texte est à l’origine écrit pour la compagnie théâtrale le Joli Collectif et a d’ailleurs été joué sur scène à plusieurs reprises.
Il est vrai qu’il se prête particulièrement à une lecture à voix haute où l’on peut percevoir tout le travail sur la rondeur de la langue, ses allitérations, ses jeux de sonorité, ses respirations et ses bégaiements.
Il va s’éloigner des siens, ce vilain petit canard, puisque personne ne veut de lui, puisqu’on le pince et le bouscule.
« et j’eus à peine le temps de l’entendre
l’entendis-je seulement
ce coin-coiiin de ma mère cane
ce coin-coiiin qui disait
« mais il nage lui aussi, laissez-le donc
vous verrez il sera moins grand en grandissant
plus beau, plus nous, plus comme nous, comme vous,
plus canard
s’il ne l’est pas il le deviendra
il deviendra canard je vous le promets ! »
non, ça je ne l’entendis pas
j’étais déjà
de l’autre côté de la haie »
C’est en partant que ce vilain petit canard va vraiment devenir lui-même, mais le chemin sera long, douloureux et semé d’embûches.
Les rencontres ne seront pas toujours bienveillantes, sa place ne sera pas toujours la bonne et c’est quand il sera prêt à s’abandonner au froid de la glace que le petit miracle aura lieu, comme parfois dans la vie quand vraiment on n’y croit plus.
« une colonie d’oiseaux superbes s’était posée quelques
instants
sur toute la mare gelée
de là où j’étais coincé, je ne pus apercevoir grand chose
mais de ce presque rien, tout me plut
je sentis mon cœur s’emballer avec une joie sans bords
tout
des quelques bribes de mots, de gestes
qu’ils laissèrent derrière eux en s’envolant
tout
était simple mais éblouissant
moi, j’étais tout à fait pris dans la glace
et m’apprêtais à mourir léger
puisque je savais maintenant qu’au moins, la beauté existe
quelque part »
On se laisse émouvoir puis consoler par cette écriture sur le fil, vibrante et fragile.
Les illustrations sont du même bois, n’interférant jamais dans le texte mais insérant chaque tableau entre de jolies planches d’aquarelles aux couleurs tendres, aux lignes légèrement floutées.
J’ai beaucoup aimé !
Un album atypique et inclassable pour parler de la différence et de la liberté d’être soi.
Ça mérite vraiment qu’on s’y attarde.
« Moi, canard ». Texte de Ramona Badescu. Illustrations de Fanny Dreyer. Editions Cambourakis. 16, 00 €