Tout est pareil qu’à l’ordinaire au petit matin, semblable à hier dans la cuisine de la maison, mais les gestes pourtant ne sont pas tout à fait les mêmes. Serait-ce le froid qui engourdit un peu les mains d’Henri ?
– « En buvant le thé brûlant, à petites gorgées, il pensa que ses mains n’étaient pas encore réveillées. La tasse lui sembla lourde et immense. Les tranches de pain lui parurent plus grandes que d’habitude. Il lui fallut plus de temps pour y étaler le beurre, la confiture. Plus de temps pour les manger. »
A soixante-dix ans du temps Henri n’en manque pas. Il vit seul semble-t-il, veuf sans doute si c’est bien lui que l’on distingue auprès de sa jeune épouse sur les photos de mariage.
Ce matin-là il sort dans son jardin devant chez lui, il imagine les champs plus loin et le lac juste derrière.
Il marche jusqu’à la boîte aux lettres au bout du sentier mais il n’y a rien d’important, tout au moins pas cette lettre qu’il attend depuis si longtemps et qui n’est jamais arrivée.
Alors Henri se souvient lorsqu’il était enfant, lorsqu’il jouait dans les champs alentour et parcourait sans doute les mêmes chemins. Rien n’a vraiment changé, le temps a juste passé.
Mais il y a toujours les grands chênes au loin, la brume froide qui sort de la bouche, le parfum de la pluie, la fourrure douce de son chat et le bleu par petites touches qui s’immisce partout.
Ce jour-là Henri ne rentre pas chez lui.
« Au dessus du noir de la forêt le ciel s’alluma un court instant. Puis, il s’éteignit. Henri lui sourit en retour. Le vert foncé des pins respirait tranquillement devant lui ».
Cet album emprunte aux journaux intimes pour composer un récit subtil, aux intonations poétiques où l’illustration alterne esquisses, crayonnés et dessins très aboutis.
Les images semblent dialoguer entre elles, entrainant le lecteur dans cette promenade douce et nostalgique aux tons sepia.
On suit avec Henri les heures lentes qui s’écoulent, on remonte avec lui le fil des souvenirs d’enfants et on savoure jusqu’au dernier souffle les moindres petits plaisirs.
Un vrai regard d’artiste court tout au long de ce bel album où le texte intimiste vient en contrepoint de la recherche graphique, alternant lui aussi les passages imprimés et les petits mots griffonnés au crayon, parfois tout juste lisibles.
Un travail exigeant et émouvant autour du temps qui passe. Très beau et très touchant.
« Quand les groseilles seront mûres ». Texte et Illustrations de Joanna Concejo. Editions L’Atelier du Poisson Soluble. 20,00€